Réflexions sur la barbarie
Table of Contents
I. Introduction
These are fragments of an article written by Simone Weil possibly in 1939. The text is included in Ecrits historiques et politiques, t. 1, which can be found in electronic format on the Simone Weil page of the (very wonderful) online collection les Classiques des Sciences sociales, maintained by persons connected to the Université du Québec à Chicoutimi.
Mlle Weil’s point in this piece is that barbarie (which does not mean lack of or disdain for high culture, as our “barbarity” might, but rather cruelty1) did not start with the twentieth century, and that the horror it can and should inspire in observers did not start with the twentieth century either.
If you intend to use this text for translation practice (or for reading comprehension), let me point out:
- The bold-face expressions: I recommend that you should learn them and commit them to your permanent word-hoard.
- The footnotes: they contain glosses for potentially difficult expressions.
If you are interested only in the content, or: if you wish to check on your translation, or: if you simply get too frustrated, you may go to the full translation of this text. Meanwhile, for your encouragement (and to help you get into the gist of what this author is saying) I provide you with a partial translation in Part III below.
II. The Text Glossed
1 Bien des2 gens aujourd’hui, émus3 par les horreurs de toute espèce que notre époque apporte avec une profusion accablante pour les tempéraments un peu sensibles, croient que, par l’effet4 d’une trop grande puissance technique, ou d’une espèce de décadence morale, ou pour toute autre cause, nous entrons dans une période de plus grande barbarie que les siècles traversés par l’humanité au cours de son histoire. Il n’en est rien.5 Il suffit, pour s’en convaincre, d’ouvrir n’importe quel6 texte antique, la Bible, Homère, César, Plutarque. Dans la Bible, les massacres se chiffrent7 généralement par dizaines de milliers. L’extermination totale, en une journée, sans acception de8 sexe ni d’âge, d’une ville de quarante mille habitants n’est pas, dans les récits de César, quelque chose d’extraordinaire. D’après9 Plutarque, Marius se promenait dans les rues de Rome suivi d’une troupe d’esclaves qui abattaient sur-le-champ10 quiconque11 le saluait sans qu’il daignât12 répondre. Sulla, imploré en plein Sénat de bien vouloir13 au moins déclarer qui il voulait faire mourir,14 dit qu’il n’avait pas tous les noms présents à l’esprit, mais qu’il les publierait, jour par jour, à mesure15 qu‘ils lui viendraient à la mémoire. Aucun des siècles passés historiquement connus n’est pauvre en événements atroces. La puissance des armements, à cet égard, est sans importance. Pour les massacres massifs, la simple épée, même de bronze, est un instrument plus efficace que l’avion.16
2 La croyance contraire, si commune à la fin du XIXe siècle et jusqu’en 1914, c’est-à-dire la croyance en une diminution progressive de la barbarie dans l’humanité dite17 civilisée, n’est, me semble-il, pas moins erronée. Et l’illusion en pareille matière18 est dangereuse, car on ne cherche pas à conjurer ce qu’on croit être en voie19 d’extinction. L’acceptation de la guerre, en 1914, a été ainsi rendue bien plus aisée; on ne croyait pas qu’elle pût20 être sauvage, faite par des hommes que l’on21 croyait exempts de sauvagerie. Comme les personnes qui répètent sans cesse qu’elles sont trop bonnes22 sont celles dont il faut attendre, à l’occasion,23 la plus froide et la plus tranquille cruauté, de même,24 lorsqu’un groupement humain se croit porteur de civilisation, cette croyance même le fera succomber à la première occasion† qui pourra se présenter à lui d’agir en barbare.25 À cet égard, rien n’est plus dangereux que la foi en une race, en une nation, en une classe sociale, en un parti. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus avoir dans le progrès la même confiance naïve qu’ont eue nos pères et nos grands-pères ; mais à la barbarie qui ensanglante le monde nous cherchons tous26 des causes hors27 du milieu où nous vivons, dans des groupements humains qui nous sont ou que nous affirmons nous être étrangers. Je voudrais proposer de considérer la barbarie comme un caractère permanent et universel de la nature humaine, qui se développe plus ou moins selon que28 les circonstances lui donnent plus ou moins de jeu.29
3 Une telle vue s’accorde parfaitement avec le matérialisme dont les marxistes se réclament30; mais elle ne s’accorde pas avec le marxisme lui-même, qui, dans sa foi messianique, croit qu’une certaine classe sociale est, par une sorte de prédestination, porteuse et unique porteuse de civilisation. Il a cru trouver dans la notion de classe la clef de l’histoire, mais il n’a jamais même commencé à utiliser effectivement†31 cette clef; aussi bien32 n’est-elle pas utilisable. Je ne crois pas que l’on puisse former des pensées claires sur les rapports humains tant33 qu‘on n’aura pas mis au centre la notion de force,34 comme la notion de rapport est au centre des mathématiques. Mais la première a besoin, comme en a eu besoin la seconde, d’être élucidée.35 Ce n’est pas aisé.
4 Je proposerais volontiers ce postulat: on est toujours barbare envers les faibles.36 Ou du moins, pour ne pas nier tout pouvoir à la vertu, on pourrait affirmer que, sauf au prix d’un effort de générosité aussi rare que le génie, on est toujours barbare envers les faibles. Le plus ou moins de barbarie diffuse dans une société dépendrait ainsi de la distribution des forces. Cette vue, si on pouvait l’étudier assez sérieusement pour lui donner un contenu clair, permettrait au moins en principe de situer toute structure sociale, soit stable, soit passagère, dans une échelle de valeurs, à condition que l’on considère la barbarie comme un mal et son absence comme un bien. Cette restriction est nécessaire ; car il ne manque pas d’hommes37 qui, soit38 par une estime exclusive et aristocratique de la culture intellectuelle, soit par ambition, soit par une sorte d’idolâtrie de l’Histoire et d’un avenir rêvé, soit parce qu’ils confondent39 la fermeté d’âme avec l’insensibilité, soit, enfin, qu’ils manquent d’imagination,40 s’accommodent fort bien de la barbarie et la considèrent ou comme un détail indifférent ou41 comme un instrument utile. Ce n’est pas là42 mon cas ; ce n’est pas non plus,43 je suppose, le cas de ceux qui lisent cette revue.44
5 Pour. . .45
***
6 Hitler n’est pas un barbare, plût au ciel qu’il en fût un46! Les barbares, dans leurs ravages, n’ont jamais fait que47 des maux limités. Comme les calamités naturelles, en détruisant, ils réveillent l’esprit rappelé48 à l’insécurité des choses humaines ; leurs cruautés, leurs perfidies, mêlées d’actes de loyauté et de générosité, tempérées par l’inconstance et le caprice, ne mettent en péril rien de vital chez ceux qui survivent à49 leurs armes. Seul un État extrêmement civilisé, mais bassement civilisé, si l’on peut s’exprimer ainsi, comme fut Rome,50 peut amener51 chez ceux qu’il menace et chez ceux qu’il soumet cette décomposition morale qui non seulement brise d’avance tout espoir de résistance effective, mais rompt brutalement et définitivement la continuité dans la vie spirituelle, lui substituant une mauvaise imitation de médiocres vainqueurs.52 Car seul un État parvenu à un mode savant d’organisation peut paralyser chez ses adversaires la faculté même de réagir, par l’empire53 qu’exerce sur l’imagination un mécanisme impitoyable, que ni les faiblesses humaines ni les vertus humaines ne peuvent arrêter dès qu’il s’agit de saisir un avantage, et qui utilise indifféremment à cette fin le mensonge ou la vérité, le respect simulé ou le mépris avoué des conventions.54 Nous ne sommes pas en Europe dans la situation de civilisés qui luttent contre un barbare, mais dans la position bien plus difficile et plus périlleuse de pays indépendants menacés de colonisation; et nous ne ferons pas utilement face55 à ce danger si nous n’inventons pas des méthodes qui y correspondent.
III. To Get You Started
To help ease you into the author’s thought and style, I give you here a translation of the opening sentences. For a complete translation, see here.
1 Bien des gens aujourd’hui, émus par les horreurs de toute espèce que notre époque apporte avec une profusion accablante pour les tempéraments un peu sensibles, croient que, par l’effet d’une trop grande puissance technique, ou d’une espèce de décadence morale, ou pour toute autre cause, nous entrons dans une période de plus grande barbarie que les siècles traversés par l’humanité au cours de son histoire. Il n’en est rien. Il suffit, pour s’en convaincre, d’ouvrir n’importe quel texte antique, la Bible, Homère, César, Plutarque. Dans la Bible, les massacres se chiffrent généralement par dizaines de milliers. L’extermination totale, en une journée, sans acception de sexe ni d’âge, d’une ville de quarante mille habitants n’est pas, dans les récits de César, quelque chose d’extraordinaire. D’après Plutarque, Marius se promenait dans les rues de Rome suivi d’une troupe d’esclaves qui abattaient sur-le-champ quiconque le saluait sans qu’il daignât répondre. … | 1 Many people nowadays, moved by the horrors of every kind that our time provides in a number overwhelming for anyone the least bit sensitive, think that, as a result of an excessively great technical power, or a kind of moral decadence, or for any other reason, we are entering a period of greater barbarity than the centuries humanity has already gone through. That is far from being the case. All one need do to be convinced is open any ancient text, the Bible, Homer, Cæsar, Plutarch. In the Bible, the victims of a massacre number generally in the tens of thousands. Total extermination, in one day, with no exceptions made for sex or age, is not, in Cæsar’s accounts, anything extraordinary. According to Plutarch, Marius used to walk in the streets of Rome followed by a troop of slaves who would immediately fall upon anyone greeting him if Marius didn’t return the greeting. … |
For an English version of the complete text, see here.
- I rather think the persistence of this meaning might be due to the influence of classical French tragedy of the 17th century.[↩]
- Bien des – a numerical expression. See, if needed, the Language file Bien, the Many Uses of.[↩]
- émus – past participle of émouvoir = “to move (emotionally).”[↩]
- par l’effet de – “as a result of”[↩]
- Il n’en est rien = “Nothing could be farther from the truth.” Consult, if you wish, the Language file The Adverbial Pronoun En: Its Odder Uses.[↩]
- N’importe quel (texte antique) = “Any ancient text whatsoever.” Learn this and the similar expressions detailed in the Language topic N’importe Expressions.[↩]
- se chiffrent = “count themselves, are counted,” or possibly “can be counted.” Learn un chiffre = “a number (as a written symbol).”[↩]
- sans acception de = “without paying any attention to, without taking into account, with making any difference for.” Elsewhere, une acception means “one meaning, among various possible ones, for a word.” See the TLFi entry.[↩]
- D’après = “accrording to” (= “selon” = “suivant”). Learn all three![↩]
- sur le champ = “at once” (literally, “on the field”).[↩]
- quiconque – Learn![↩]
- daignât – imperfect subjunctive. The whole clause means: “without his [Marius’s] deigning to respond.” You may consult, when you feel up to it, the Language files on the Forms and Uses of the literary subjunctive.[↩]
- bien vouloir = “to agree to, to be willing to, to be so kind as to.”[↩]
- faire mourir – note the faire causatif, on which you may consult this Language file. Subject of “mourir” is “qui.”[↩]
- à mesure (que) – about the only way we can translate this conjunction is “as.” But it means “in measure with this other process, in step with.” You will also see this set expression, with exactly the same meaning: “au fur et à mesure que.” The word “fur” is used nowhere else in modern French.[↩]
- Nevertheless, a recent and infamous massacre involving airplanes (Guernica, 1937) was well known to SW and to her readers.[↩]
- dite – here, = “so-called.” “in so-called civilized humanity.”[↩]
- en pareille matière = “in such a matter.”[↩]
- en voie de – “on the way to”. la voie < lat. via.[↩]
- Imperfect subjunctive of pouvoir. You may translate as “could.”[↩]
- l’on = on.[↩]
- “Bonnes” should not be translated as “good,” but as “kind, kind-hearted, good-natured.”[↩]
- à l’occasion = “when the occasion presents itself”[↩]
- de même – “likewise, in the same way, just so.” This “de même” is coordinate with the “Comme” at the beginning of the sentence. More often you will see the pair “De même que…, de même…,” = “Just as…, so…”[↩]
- en barbare = “as a barbarian, like a barbarian.”[↩]
- tous – masculine plural “pronoun” form of “tout,” reinforcing the subject “nous.” (Some day, consult the Language file All About Tout.[↩]
- hors de = “outside of.” learn “hors de,” “dehors,” “au dehors,” “en dehors de,” “hormis,” “un hors-la-loi,” “hors-série.” From latin foris.[↩]
- selon que – a conjunction. Not all that different in meaning from “à mesure que.”[↩]
- jeu – Here “jeu” (= “play”) has a metaphorical meaning it can also have in English, namely, “freedom of movement.”[↩]
- se réclament – “se réclamer de” = “to justify oneself on the basis of, to say you are descended from, to say you are the spiritual heir of, etc.”[↩]
- The word “effectivement” deserves a triple death-mark (†††). Do ***not*** translate this word as “effectively”!!![↩]
- aussi bien – Do not confuse with “aussi bien que.” This is the very special “aussi” that begins a clause and is followed by an inversion. (See point number 4 in the French Language File on “aussi.”) It means: this clause explains the preceding one. You could translate: “…but it has never even begun to to use this key in fact; and, indeed, it is not useable.”[↩]
- tant qu’ – “tant que” followed by a verb in the future = “as long as.” Learn this conjunction.[↩]
- force – “la force” has a wide range of possible translations. English “force” is not always a good one. What would work here?[↩]
- Somewhat involved syntax, together with difficult referentiality… “But the first notion (that of “force”) needs to be elucidated, just as the second (that of “relation”) needed to be.”[↩]
- Avid readers of René Girard will not hesitate to agree.[↩]
- il ne manque pas d’hommes = “men are not lacking.” See three footnotes down.[↩]
- soit…soit = “either…or,” “whether…or.” There will be four “soit”s in this sentence.[↩]
- confondent – a regular –re verb. Do not translate it as “confound”! See the French Language File On Regular -dre Verbs.[↩]
- ils manquent d’imagination – “they lack imagination.” See three footnotes up.[↩]
- “Ou…ou” = “either…or.”[↩]
- Ce n’est pas là – the “là” really goes with the “ce” (to form the indefinite pronoun “cela”), but it has been separated from it so the voice can come down forcefully on it. “***That*** is not ***my*** case.” Cf. “Ce n’est pas là la question” = “***That’s*** not the question.”[↩]
- non plus = “(not) either.”[↩]
- cette revue = the one she would have published this piece in.[↩]
- I omit this incomplete paragraph. To see it, go to the text-plus-full-translation.[↩]
- plût au ciel qu’il en fût un – savor the two imperfect subjunctives in a row here. = “would to God that he were one.”[↩]
- n’ont jamais fait que – ne…que !!! See the French Language File on this construction.[↩]
- ils réveillent l’esprit rappelé à – A rather Latinate (possibly) use of a participle… The idea, and translation, might be: “they awaken the mind and remind it of…”[↩]
- survivent à – “survivre à quelque chose” = “to survive something.”[↩]
- Simone Weil had an exceedingly negative opinion of ancient Rome.[↩]
- amener – note the figurative use of “amener” here. = “to bring about, to have as a consequence.”[↩]
- ??? Does she mean, this is the effect that Nazi Germany has or will have, and in so doing provides a bad imitation of the ancient Romans, who were themselves “mediocre conquerors”?[↩]
- empire – can be used figuratively to mean “power, influence, ascendency.”[↩]
- The phrase “des conventions” should be understood as attached to ***both*** “le respect simulé” ***and*** “le mépris avoué.“[↩]
- ferons…face à – the expression to know here is “faire face à,” = “to face up to, to confront.”[↩]
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