Letter nº 505: À un ami
I. Introduction
This text is taken from:
Georges Bernanos, Correspondance, Tome II: 1934-1948. Recuillie par Albert Béguin. Choisie et présentée par Sœur Jean Murray, o.p. Plon, c1971.
At the time of the letter (1939) Bernanos was living in Brazil.
Bernanos seems to have had an ideal correspondent in mind, whom he imagines as a young writer encountering difficulties similar to those the letter-writer himself has had to face. (It is not impossible that Bernanos is writing to himself; dédoublement is one of his favorite themes.) Those familiar with Bernanos will recognize characteristic Bernanosian ideas and motifs, applied here to the special case of the Christian author:
- isolation and abandonment as a mode of communion
- giving out of one’s emptiness
- the never-ending task of reconciliation with oneself
- becoming a child again
- the transfiguration of suffering
- putting the inexpressible into words
…and so forth. In the end, the Christian author, as Bernanos conceives of him here, has a mission and a fate scarcely distinguishable from those of the curé d’Ambricourt, the long-suffering hero of his most famous novel (Journal d’un curé de campagne).
II. The French Text
(My footnotes, most of which are attempts to explain Bernanos’s meaning, may get in your way; try ignoring them on your first read-through [or go directly to section III below].)
[Vassouras {Brézil}] 5 juin 1939
1 1 Cher ami, je pense à vous toujours de la même manière, si honteux d’avoir tellement peu à vous donner. 2 Mais sait-on jamais ce qu’on donne? 3 Heureusement non. 5 D’une main d’honneur1 à l’autre, il y a, je crois, plus que toute l’épaisseur du monde.2 6 Peut-être ne faisons-nous de si loin que le geste de donner? 7 C’est Dieu qui donne.
2 1 Que je sente très profondément votre souffrance, de cela je suis sûr. 2 Seulement je ne puis la partager, enfin, je veux dire, en assumer ma part, précisément parce qu’elle est de celles3 qui ne se partagent4 pas. 3 Elle est en vous, elle est vôtre, elle n’est pas vous. 4 Je crains de toute mon âme qu’il y ait une sorte de malédiction sur des souffrances qu’on ne peut pas partager avec un ami fidèle,5 aussi simplement qu’on partage une croûte de pain noir. 5 Leur sombre éclat, leur ténébreuse splendeur, leur cruelle et déchirante tendresse… 6 Je crains qu’aucun art humain ne saurait6 exprimer cela, je crains que votre angoisse d’artiste n’ait cette cause: l’impossible gageure de prétendre partager avec autrui7 ce qui ne vous appartient pas. 7 Ce que vous voulez donner brûle instantanément votre main et passe au travers…8 8 Que vous dire de plus? 9 Les mots pour le dire ne comptent pas, prennent tout de suite une valeur fausse, insupportable, celle de leur signification littéraire. 10 A quoi bon?
3 1 Il y a ce génie en vous, mais ce n’est pas celui de votre œuvre future, c’est précisément même celui que votre art doit absorber, consommer, pour trouver son expression humaine, s’humaniser, s’incarner. 2 C’est à ce génie, non à votre œuvre, que vous êtes tenté de sacrifier des choses précieuses et vous-même avec elles. 3 Pour moi, l’œuvre de l’artiste n’est jamais la somme de ses déceptions, de ses souffrances, de ses doutes, du mal et du bien de toute sa vie, mais sa vie même, transfigurée, illuminée, réconciliée.9 4 Je sais bien que nous ne goûtons jamais le vin nouveau de cette réconciliation de nous-mêmes avec nous-mêmes, alors que la vendange10 est faite—comme la douleur physique peut se prolonger longtemps après que la cause en a cessé. 5 L’ayant réalisé au prix d’un effort immense, nous continuons de la désirer encore. 6 C’est que notre joie intérieure ne nous appartient pas plus que l’œuvre qu’elle anime,11 il faut que nous la donnions à mesure, que nous mourions vides, que nous mourions comme des nouveaux-nés.
4 1 Voyez-vous, je crois qu’il ne s’agit pas de se préférer à son œuvre ou son œuvre à soi, mais d’être assez simple pour s’aimer soi-même dans son œuvre, ainsi que Dieu dans sa création.12 2 Car, après tout, nous sommes créés à l’image de Dieu. 3 Tout ce qui contracte rapetisse. 4 J’ai souvent pensé que les quatre qualités que le règlement de cavalerie exige du cheval dressé sont aussi celles qui nous permettent d’aller jusqu’au bout de notre destinée—calme, en avant, droit, léger…
Votre ami,
Bernanos
III. The French Text and English Translation
1 1 Cher ami, je pense à vous toujours de la même manière, si honteux d’avoir tellement peu à vous donner. 2 Mais sait-on jamais ce qu’on donne? 3 Heureusement non. 5 D’une main d’honneur à l’autre, il y a, je crois, plus que toute l’épaisseur du monde. 6 Peut-être ne faisons-nous de si loin que le geste de donner? 7 C’est Dieu qui donne. | 1 1 Dear friend, I always think of you in the same way: I am so ashamed to have so little to give you. 2 But does one ever know what one gives? 3 Fortunately not. 5 From one honorable hand to another, there is, I think, more than all the thickness of the world. 6 Perhaps at such a distance all we are doing is making the gesture of giving? 7 It is God that gives. |
2 1 Que je sente très profondément votre souffrance, de cela je suis sûr. 2 Seulement je ne puis la partager, enfin, je veux dire, en assumer ma part, précisément parce qu’elle est de celles qui ne se partagent pas. 3 Elle est en vous, elle est vôtre, elle n’est pas vous. 4 Je crains de toute mon âme qu’il y ait une sorte de malédiction sur des souffrances qu’on ne peut pas partager avec un ami fidèle, aussi simplement qu’on partage une croûte de pain noir. 5 Leur sombre éclat, leur ténébreuse splendeur, leur cruelle et déchirante tendresse… 6 Je crains qu’aucun art humain ne saurait exprimer cela, je crains que votre angoisse d’artiste n’ait cette cause: l’impossible gageure de prétendre partager avec autrui ce qui ne vous appartient pas. 7 Ce que vous voulez donner brûle instantanément votre main et passe au travers… 8 Que vous dire de plus? 9 Les mots pour le dire ne comptent pas, prennent tout de suite une valeur fausse, insupportable, celle de leur signification littéraire. 10 A quoi bon? | 2 1 That I feel very deeply your suffering, of that I am sure. 2 Only, I cannot share it, that is, I mean, assume my portion of it, precisely because it is of the kind that cannot be shared. 3 It is in you, it is yours; it is not you. 4 I fear with all my soul that there is a sort of curse on sufferings that one cannot share with a faithful friend, as simply as one shares a crust of black bread. 5 Their dark brilliance, their shadowy splendor, their cruel and wrenching tenderness… 6 I fear that no art could ever express that. I fear that your artist’s anguish may have this cause: the impossible wager of thinking you can share with another what does not belong to you. 7 What you want to give burns your hand on the instant and passes through… 8 What else can I tell you? 9 The words to say it do not count, they take on at once a false meaning, an intolerable meaning: their literary meaning. 10 What’s the use? |
3 1 Il y a ce génie en vous, mais ce n’est pas celui de votre œuvre future, c’est précisément même celui que votre art doit absorber, consommer, pour trouver son expression humaine, s’humaniser, s’incarner. 2 C’est à ce génie, non à votre œuvre, que vous êtes tenté de sacrifier des choses précieuses et vous-même avec elles. 3 Pour moi, l’œuvre de l’artiste n’est jamais la somme de ses déceptions, de ses souffrances, de ses doutes, du mal et du bien de toute sa vie, mais sa vie même, transfigurée, illuminée, réconciliée. 4 Je sais bien que nous ne goûtons jamais le vin nouveau de cette réconciliation de nous-mêmes avec nous-mêmes, alors que la vendange est faite—comme la douleur physique peut se prolonger longtemps après que la cause en a cessé. 5 L’ayant réalisé au prix d’un effort immense, nous continuons de la désirer encore. 6 C’est que notre joie intérieure ne nous appartient pas plus que l’œuvre qu’elle anime, il faut que nous la donnions à mesure, que nous mourions vides, que nous mourions comme des nouveaux-nés. | 3 1 There is this genius in you, but it is not the genius of your future work; it is precisely the genius that your art must absorb, drink entirely up, so it can find its human expression, become human, become incarnate. 2 It is to this genius, not to your work, that you are tempted to sacrifice precious things, and you yourself along with them. 3 For me, the artist’s work is never the sum of his disappointments, of his sufferings, of his doubts, of the good and evil of all his life, but his very life, transfigured, illumined, reconciled. 4 I am aware that we never taste the new wine of this reconciliation of ourselves with ourselves, (even) when the grape-harvest is done—just as physical pain can continue long after its cause has ceased. 5 Having accomplished this reconciliation at the cost of an immense effort, we continue to desire it still. 6 The fact is, our inner joy does not belong to us any more than the work permeated by it; we must give it as we get it, we must die completely empty, we must die like new-borns. |
4 1 Voyez-vous, je crois qu’il ne s’agit pas de se préférer à son œuvre ou son œuvre à soi, mais d’être assez simple pour s’aimer soi-même dans son œuvre, ainsi que Dieu dans sa création. 2 Car, après tout, nous sommes créés à l’image de Dieu. 3 Tout ce qui contracte rapetisse. 4 J’ai souvent pensé que les quatre qualités que le règlement de cavalerie exige du cheval dressé sont aussi celles qui nous permettent d’aller jusqu’au bout de notre destinée—calme, en avant, droit, léger… | 4 1 You see, I think it isn’t a question of preferring oneself to one’s work or one’s work to oneself, but of being simple enough to love oneself in one’s work, just as God does in his creation. 2 For, after all, we are created in the image of God. 3 Everything that contracts, makes smaller. 4 I have often thought that the four qualities the cavalry manual requires of the trained horse are also those that make it possible for us to go to the very end of our destiny: calm, forward, upright, light-footed… |
Votre ami, Georges Bernanos | Your Friend, Georges Bernanos |
- Yet another major Bernanosian theme: honor.[↩]
- Even honorable souls cannot communicate to each other what is most essential to them. Or perhaps: Honorable souls ***in particular*** cannot communicate what is most essential to them.[↩]
- Literally, “It (your suffering) is not of those (sufferings) that”; hence: “your suffering is not of the kind that.”[↩]
- The force of the pronominal verb “se partagent” is not simply the passive “are shared,” but rather: “can be shared.” See the French Language File on Pronominal Verbs 3.[↩]
- But the sufferings one can’t share are the most important kind. The “curse” (malédiction) is not a demonic one, but divine, which is to say that it is not a curse at all (though it seems like a curse because it seemingly condemns us to solitude).[↩]
- Learn the Professor’s rule for “ne saurait”: Translate it as “could never” or “couldn’t possibly.”[↩]
- A splendid “tonic” pronoun form straight out of Old French. It means: “someone else” or “other people.”[↩]
- The image of empty or pierced hands occurs a number of times in the Journal. “C’est comme si vous déposiez une pièce d’or dans une main percée.”[↩]
- The meaning of these difficult sentences is something like the following. The author’s art effects a transformation of what the author has in him. This transformation is the result of the author’s incessant labor, and it is equally a grace. The author’s work, once it is accomplished, is the author’s self, transfigured.[↩]
- There are three words for “harvest” in French: 1) of grapes (la vendange), 2) of grains (la moisson), 3) a general word (la récolte).[↩]
- The author’s transfigured, reconciled self exists (in a quasi-objective form) in the accomplished work, but this is not something the author experiences himself for very long.[↩]
- Readers of le Journal will remember the very last words of the diary: “Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.”[↩]
Greg Taylor says
In 4.3 I think “rapetisse” is intransitive and would therefore be “gets smaller”.
Mad Beppo says
Thanks for your comment, but, in fact, if you go to the TLFi entry for rapetisser, you will find that the verb is transitive and means “to make smaller” (rendre plus petit). — You were perhaps misled by a false parallelism with -ir verbs derived from adjectives meaning “to grow more (adjective)” such as rougir, jaunir, maigrir, vieillir. The verb in this case, however, is an -er verb: rapetissER.
I am grateful to you, nonetheless, for reading the text and translation so carefully and for then going to the further trouble of making a comment.
Contracter is, similarly, transitive in meaning (see the TLFi entry). English “to contract” is, in contrast, ambiguously either transitive or intransitive. I wonder if I should alter my translation so as to make it less ambiguous…
In the end, the sentence Tout ce qui contracte rapetisse is a tautology, isn’t it? “Whatever contracts (a thing) makes (it) smaller.” In context, the point seems to be that we shouldn’t do things that contract us, but rather things that expand us. ?