Lettre à Georges Bernanos
I. Introduction
This text appears in Georges Bernanos, Correspondance inédite 1934-1948: Combat pour la liberté (Plon, c1971).
It was written in response to Les grands cimetières sous la lune (1938), in which Bernanos described the reign of terror as he experienced it in Majorca during the Spanish Civil War. Since he was well known as a monarchist, it was a great surprise when Bernanos spoke out against what Spanish nationalists were doing there.
Simone Weil, as her letter reveals, had volunteered on the side of the Republicans.
Expressions in boldface are ones that a persons learning to read French should make part of their permanent word-hoard. Footnotes to the French text provide linguistic information and historical background. Occasionally I have inserted links to relevant parts of French Language Files.
II. The French Text
1 1 Quelque ridicule qu’il y ait1 à écrire à un écrivain, qui est toujours, par la nature de son métier, inondé de lettres, je ne puis m’empêcher2 de le faire après avoir lu les Grands Cimetières sous la lune. 2 Non que ce soit la première fois qu’un livre de vous me touche; le Journal d’un curé de campagne est à mes yeux le plus beau, du moins de ceux que j’ai lus, et véritablement un grand livre. 3 Mais si j’ai pu aimer3 d’autres de vos livres, je n’avais aucune raison de vous importuner4 en vous écrivant. 4 Pour le dernier, c’est autre chose; j’ai eu une expérience qui répond à la vôtre, quoique bien plus brève, moins profonde, située ailleurs et éprouvée en apparence—en apparence seulement—dans un tout autre esprit.
2 1 Je ne suis pas catholique, bien que—ce que je vais dire va sans doute sembler présomptueux à tout catholique, de la part5 d’un non catholique, mais je ne puis m’exprimer autrement—bien que rien de catholique, rien de chrétien ne m’ait jamais paru étranger. 2 Je me suis dit parfois que si seulement on affichait6 aux portes des églises que l’entrée est interdite7 à quiconque8 jouit9 d’un revenu supérieur à telle ou telle somme, peu élevée, je me convertirais aussitôt. 3 Depuis l’enfance, mes sympathies se sont tournées vers les groupements qui se réclamaient10 des couches méprisées de la hiérarchie sociale, jusqu’à ce que j’aie pris conscience11 que ces groupements sont de nature à décourager toutes les sympathies. 4 Le dernier qui m’ait inspiré quelque confiance, c’était la C.N.T. espagnole. 5 J’avais un peu voyagé en Espagne—assez peu—avant la guerre civile, mais assez pour ressentir12 l’amour qu’il est difficile de ne pas sentir envers ce peuple; j’avais vu dans le mouvement anarchiste l’expression naturelle de ses grandeurs et de ses tares,13 de ses aspirations les plus et les moins legitimes. 6 La C.N.T., la F.N.I.14 étaient un mélange étonnant, où on admettait n’importe qui, et où, par conséquent, se coudoyaient15 l’immoralité, le cynisme, le fanatisme, la cruauté, mais aussi l’amour, l’esprit de fraternité, et surtout la revendication16 de l’honneur la plus belle chez les hommes humiliés; il me semblait que ceux qui venaient là animés par un idéal l’emportaient17 sur ceux que poussait le goût de la violence et du désordre. 7 En juillet 1936, j’étais à Paris. 8 Je n’aime pas la guerre; mais ce qui m’a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c’est la situation de ceux qui se trouvent à l’arrière.18 9 Quand j’ai compris que, malgré mes efforts, je ne pouvais m’empêcher moralement de participer à cette guerre, c’est-à-dire de souhaiter tous les jours, toutes les heures, la victoire des uns, la défaite des autres, je me suis dit que Paris était l’arrière, et j’ai pris le train pour Barcelone dans l’intention de m’engager.19 10 C’était au début d’août 1936.
3 1 Un accident m’a fait abréger20 par force mon séjour en Espagne. 2 J’ai été quelques jours à Barcelone; puis, en pleine campagne aragonaise,21 au bord de l’Ebre, à une quinzaine de kilomètres de Saragosse, à l’endroit même où récemment les troupes de Yaguë ont passé l’Ebre; puis dans le palais de Sitgès, transformé en hôpital; puis de nouveau à Barcelone; en tout à peu près deux mois. 3 J’ai quitté l’Espagne malgré moi et dans l’intention d’y retourner; par la suite,22 c’est volontairement que je n’en ai rien fait.23 4 Je ne sentais plus aucune nécessité intérieure de participer à une guerre qui n’était plus, comme elle m’avait paru être au début, une guerre de paysans affamés24 contre les propriétaires terriens et un clergé complice des propriétaires, mais une guerre entre la Russie, l’Allemagne et l’Italie.
4 1 J’ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage25 votre livre; je l’avais respiré. 2 Je n’ai rien vu ni entendu, je dois le dire, qui atteigne 26 tout à fait l’ignominie de certaines des histoires que vous racontez, ces meurtres de vieux paysans, ces ballilas27 faisant courir des vieillards à coups de matraques.28 3 Ce que j’ai entendu suffisait pourtant. 4 J’ai failli29 assister† à l’exécution d’un prêtre; pendant les minutes d’attente, je me demandais si j’allais regarder simplement, ou me faire fusiller moi-même en essayant d’intervenir; je ne sais pas encore ce que j’aurais fait si un heureux hasard n’avait empêché l’exécution.
5 1 Combien d’histoires se pressent sous ma plume… Mais ce serait trop long; et à quoi bon? Une seule suffira. 2 J’étais à Sitgès quand sont revenus, vaincus, les miliciens de l’expédition de Majorque. 3 Ils avaient été décimés. 4 Sur30 quarante jeunes garçons partis de Sitgès, neuf étaient morts. 5 On ne le sut31 qu’au retour des trente et un autres. 6 La nuit même qui suivit, on fit neuf expéditions punitives, on tua neuf fascistes ou soi-disant32 tels, dans cette petite ville où en juillet, il ne s’était rien passé. 7 Parmi ces neuf, un boulanger d’une trentaine d’années, don’t le crime était, m’a-t-on dit, d’avoir appartenu à la milice des “somaten” [national militia]; son vieux père, don’t il était le seul enfant et le seul soutien, devint fou. 8 Une autre encore: en Aragon, un petit groupe international de vingt-deux miliciens de tous pays prit, après un léger engagement, un jeune garçon de quinze ans, qui combattait comme phalangiste. 9 Aussitôt pris, tout tremblant d’avoir vu tuer des camarades à ses côtés, il dit qu’on l’avait enrôlé par force. 10 On le fouilla, on trouva sur lui un médaillon de la Vierge et une carte de phalangiste; on l’envoya à Durritti, chef de la colonne, qui, après avoir exposé pendant une heure les beautés de l’idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir immédiatement et s’enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l’avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. 11 Durrutti donna à l’enfant vingt-quatre heures de réflexion; au but de vingt-quatre heures, l’enfant dit non et fut fusillé. 12 Durrutti était pourtant à certains égards un homme admirable. 13 La mort de ce petit héros n’a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l’aie apprise qu’après coup.33 14 Ceci encore: dans un village que rouges et blancs avaient pris, perdu, repris, reperdu, je ne sais combien de fois, les miliciens rouges, l’ayant repris définitivement, trouvèrent dans les caves une poignée d’êtres hagards, terrifiés et affamés, parmi lesquels trois ou quatre jeunes hommes. 15 Ils raisonnèrent ainsi: si ces jeunes hommes, au lieu d’aller avec nous la dernière fois que nous nous sommes retirés, sont restés et ont attendu les fascistes, c’est34 qu’ils sont fascistes. 16 Ils les fusillèrent donc immédiatement, puis donnèrent à manger aux autres et se crurent très humains. 17 Une dernière histoire, celle-ci de l’arrière: deux anarchistes me racontèrent comment, avec des camarades, ils avaient pris deux prêtres; on tua l’un sur place, en présence de l’autre, d’un coup de revolver, puis on dit à l’autre qu’il pouvait s’en aller. 18 Quand il fut à vingt pas, on l’abattit. 19 Celui qui me racontait l’histoire était très surpris de ne pas me voir rire.
6 1 A Barcelone, on tuait en moyenne,35 sous forme d’expéditions punitives, une cinquantaine d’hommes par nuit. 2 C’était proportionnellement beaucoup moins qu’à Majorque, puisque Barcelone est une ville de près d’un million d’habitants; d’ailleurs il s’y était déroulé36 pendant trois jours une bataille de rues meurtrière. 3 Mais les chiffres ne sont peut-être pas l’essentiel en pareille matière. 4 L’essentiel, c’est l’attitude à l’égard du meurtre. 5 Je n’ai jamais vu, ni parmi les Espagnols, ni même parmi les Français venus soit pour se battre, soit pour se promener — ces derniers le plus souvent des intellectuels ternes37 et inoffensifs — je n’ai jamais vu personne exprimer même dans l’intimité38 de la répulsion, du dégoüt ou seulement de la désapprobation à l’égard du sang inutilement versé. 6 Vous parlez de la peur. 7 Oui, la peur a eu une part39 dans ces tueries; mais là où j’étais, je ne lui ai pas vu la part que vous lui attribuez. 8 Des hommes apparemment courageux — il en est au moins un dont j’ai de mes yeux40 constaté le courage — au milieu d’un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de “fascistes” — terme très large. 9 J’ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d’êtres humains en dehors de41 ceux dont la vie a un prix, il n’est rien42 de plus naturel à l’homme que de tuer. 10 Quand on sait qu’il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. 11 Si par hasard on éprouve d’abord un peu de dégoût, on le tait43 et bientôt on l’étouffe, de peur de paraître manquer de virilité. 12 Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister44 sans une force d’âme qu’il me faut bien croire exceptionnelle,45 puisque je ne l’ai rencontrée nulle part. 13 J’ai rencontré en revanche46 des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n’auraient pas eu l’idée eux-mêmes de tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. 14 Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l’avenir aucun estime.
7 1 Une telle atmosphère efface aussitôt le but même de la lutte. 2 Car on ne peut formuler le but qu’en47 le ramenant au bien public, au bien des hommes — et les hommes sont de nulle valeur. 3 Dans un pays où les pauvres sont, en très grande majorité, des paysans, le mieux-être48 des paysans doit être un but essentiel pour tout groupement d’extrême-gauche; et cette guerre fut peut-être avant tout, au début, une guerre pour et contre le partage des terres. 4 Eh bien, ces misérables et magnifiques paysans d’Aragon, restés si fiers sous les humiliations, n’étaient même pas pour les miliciens un objet de curiosité. 5 Sans insolences, sans injures, sans brutalité — du moins je n’ai rien vu de tel, et je sais que vol et viol, dans les colonnes anarchistes, étaient passibles49 de la peine de mort — un abîme séparait les hommes armés de la population désarmée, un abîme tout à fait semblable à celui qui sépare les pauvres et les riches. 6 Cela se sentait à50 l’attitude toujours un peu humble, soumise, craintives des uns, à l’aisance, la désinvolture, la condescendence des autres.
8 1 On part en volontaire,51 avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l’ennemi en moins.52
9 1 Je pourrais prolonger indéfiniment de telles réflexions, mais il faut se limiter. 2 Depuis que j’ai été en Espagne, que j’entends, que je lis toutes sortes de considérations sur l’Espagne, je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l’atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté. 3 Vous êtes royaliste, disciple de Drumont53 — que m’importe? 4 Vous m’êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d’Aragon — ces camarades que, pourtant, j’aimais.
10 1 Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m’est également allé au cœur. 2 J’avais dix ans lors54 du traité de Versailles. 3 Jusque-là j’avais été patriote avec toute l’exaltation des enfants en période de guerre. 4 La volonté d’humilier l’ennemi vaincu, qui déborda55 partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d’une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes56 de ce patriotisme naïf. 5 Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu’il peut subir.
11 1 P.-S. C’est machinalement que je vous ai mis mon adresse. 2 Car, d’abord, je pense que vous devez avoir mieux à faire que de répondre aux lettres. 3 Et puis je vais passer un ou deux mois en Italie, où une lettre de vous ne me suivrait peut-être pas sans être arrêtée au passage.
Mlle Simone Weil
3, rue Auguste-Comte
Paris (VIe)
III. The French Text with Translation
1 1 Quelque ridicule qu’il y ait à écrire à un écrivain, qui est toujours, par la nature de son métier, inondé de lettres, je ne puis m’empêcher de le faire après avoir lu les Grands Cimetières sous la lune. 2 Non que ce soit la première fois qu’un livre de vous me touche; le Journal d’un curé de campagne est à mes yeux le plus beau, du moins de ceux que j’ai lus, et véritablement un grand livre. 3 Mais si j’ai pu aimer d’autres de vos livres, je n’avais aucune raison de vous importuner en vous écrivant. 4 Pour le dernier, c’est autre chose; j’ai eu une expérience qui répond à la vôtre, quoique bien plus brève, moins profonde, située ailleurs et éprouvée en apparence—en apparence seulement—dans un tout autre esprit. | 1 1 However ridiculous it may be to write to a writer, who is always, due to the nature of his profession, inundated with writing, I can’t keep myself from doing so after reading The Great Cemeteries Beneath the Moon. 2 Not that this is the first time a book of yours has touched me; The Diary of a Country Priest is in my opinion the most beautiful, at least of those I have read, and truly a great book. 3 But, although I may have loved others of your books, I had no reason to bother you by writing to you. 4 For this last one, it’s another matter: I have had an experience corresponding to yours, although it was briefer, not as profound, situated elsewhere, and in appearance – in appearance only – undergone in a very different spirit. |
2 1 Je ne suis pas catholique, bien que—ce que je vais dire va sans doute sembler présomptueux à tout catholique, de la part d’un non catholique, mais je ne puis m’exprimer autrement—bien que rien de catholique, rien de chrétien ne m’ait jamais paru étranger. 2 Je me suis dit parfois que si seulement on affichait aux portes des églises que l’entrée est interdite à quiconque jouit d’un revenu supérieur à telle ou telle somme, peu élevée, je me convertirais aussitôt. 3 Depuis l’enfance, mes sympathies se sont tournées vers les groupements qui se réclamaient des couches méprisées de la hiérarchie sociale, jusqu’à ce que j’aie pris conscience que ces groupements sont de nature à décourager toutes les sympathies. 4 Le dernier qui m’ait inspiré quelque confiance, c’était la C.N.T. espagnole. 5 J’avais un peu voyagé en Espagne—assez peu—avant la guerre civile, mais assez pour ressentir l’amour qu’il est difficile de ne pas sentir envers ce peuple; j’avais vu dans le mouvement anarchiste l’expression naturelle de ses grandeurs et de ses tares, de ses aspirations les plus et les moins legitimes. 6 La C.N.T., la F.N.I. étaient un mélange étonnant, où on admettait n’importe qui, et où, par conséquent, se coudoyaient l’immoralité, le cynisme, le fanatisme, la cruauté, mais aussi l’amour, l’esprit de fraternité, et surtout la revendication de l’honneur la plus belle chez les hommes humiliés; il me semblait que ceux qui venaient là animés par un idéal l’emportaient sur ceux que poussait le goût de la violence et du désordre. 7 En juillet 1936, j’étais à Paris. 8 Je n’aime pas la guerre; mais ce qui m’a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c’est la situation de ceux qui se trouvent à l’arrière. 9 Quand j’ai compris que, malgré mes efforts, je ne pouvais m’empêcher moralement de participer à cette guerre, c’est-à-dire de souhaiter tous les jours, toutes les heures, la victoire des uns, la défaite des autres, je me suis dit que Paris était l’arrière, et j’ai pris le train pour Barcelone dans l’intention de m’engager. 10 C’était au début d’août 1936. | 2 1 I am not Catholic, although—what I am going to say is going to seem presumptuous to any Catholic, coming from a non-Catholic, but I cannot express myself otherwise—although nothing Catholic, nothing Christian has ever seemed foreign to me. 2 I have sometimes told myself that, if only they were to put up a sign on the doors of churches that entrance is forbidden to anybody enjoying an income higher than such-and-such an amount (not very elevated), I would at once convert. 3 From childhood, my sympathies have been turned toward associations claiming a connection with the despised strata of the social hierarchy, until I realized that these associations are of a nature to discourage all sympathies. 4 The last one to inspire my confidence was the Spanish C.N.T. 5 I had traveled a bit in Spain–a small bit–before the civil war, but enough to feel the love it is difficult not to feel towards this people; I had seen in the anarchist movement the natural expression of its grandeurs and its vices, of its most and least legitimate aspirations. 6 The C.N.T., the F.N.I., were an amazing mixture, where absolutely anbody was allowed in, and where, consequently, you found jostled together immorality, cynicism, fanaticism, cruelty, but also love, the spirit of brotherhood, and above all the most beautiful demand for honor amongst humilitated men; it seemed to me that those who had come there inspired by an ideal outnumbered those who were impelled by a taste for violence and disorder. 7 In July 1936 I was in Paris. 8 I don’t like war; but what has always horrified me the most in war is the situation of those behind the lines. 9 When I found that, despite my efforts, I couldn’t keep myself from participating emotionally in this war, that is, from desiring every day, every moment, the victory of one side and the defeat of the other, I said to myself that Paris was behind the lines, and I took the train for Barcelona with the intention of enlisting. 10 This/It was the beginning of August 1936. |
3 1 Un accident m’a fait abréger par force mon séjour en Espagne. 2 J’ai été quelques jours à Barcelone; puis, en pleine campagne aragonaise, au bord de l’Ebre, à une quinzaine de kilomètres de Saragosse, à l’endroit même où récemment les troupes de Yaguë ont passé l’Ebre; puis dans le palais de Sitgès, transformé en hôpital; puis de nouveau à Barcelone; en tout à peu près deux mois. 3 J’ai quitté l’Espagne malgré moi et dans l’intention d’y retourner; par la suite, c’est volontairement que je n’en ai rien fait. 4 Je ne sentais plus aucune nécessité intérieure de participer à une guerre qui n’était plus, comme elle m’avait paru être au début, une guerre de paysans affamés contre les propriétaires terriens et un clergé complice des propriétaires, mais une guerre entre la Russie, l’Allemagne et l’Italie. | 3 1 An accident made me shorten perforce my stay in Spain. 2 I spent several days in Barcelona; then, in the middle of the Aragonese countryside, on the banks of the Ebro River, fifteen kilometers from Saragossa, at the precise spot where recently Yague’s troups crossed the Ebro; then in the palace at Sitges, transformed into a hospital; then once again in Barcelona; in all about two months. 3 I left Spain against my will and intending to return there; subsequently I made no attempt to do so. 4 I no longer felt the inner necessity to participate in a war that was no longer what it had appeared to be in the beginning, a war of starving peasants against landholders and a clergy in cahoots with them, but rather a war between Russia, German, and Italy. |
4 1 J’ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre; je l’avais respiré. 2 Je n’ai rien vu ni entendu, je dois le dire, qui atteigne tout à fait l’ignominie de certaines des histoires que vous racontez, ces meurtres de vieux paysans, ces ballilas faisant courir des vieillards à coups de matraques. 3 Ce que j’ai entendu suffisait pourtant. 4 J’ai failli assister† à l’exécution d’un prêtre; pendant les minutes d’attente, je me demandais si j’allais regarder simplement, ou me faire fusiller moi-même en essayant d’intervenir; je ne sais pas encore ce que j’aurais fait si un heureux hasard n’avait empêché l’exécution. | 4 I recognized that odor of civil war, blood, and terror your book gives off; I had breathed it. 2 I saw nothing, and heard nothing, I have to say, that quite reach the shameful horror of certain of the stories you tell—the murders of old peasants, the balillas hitting old men with clubs to make them run. 3 What I heard nonetheless sufficed. 4 I almost witnessed the execution of a priest; during the minutes spent waiting, I asked myself if I was just going to watch, or get myself shot by trying to intervene; I still don’t know what I would have done if a lucky chance had not prevented the execution. |
5 1 Combien d’histoires se pressent sous ma plume… Mais ce serait trop long; et à quoi bon? Une seule suffira. 2 J’étais à Sitgès quand sont revenus, vaincus, les miliciens de l’expédition de Majorque. 3 Ils avaient été décimés. 4 Sur quarante jeunes garçons partis de Sitgès, neuf étaient morts. 5 On ne le sut qu’au retour des trente et un autres. 6 La nuit même qui suivit, on fit neuf expéditions punitives, on tua neuf fascistes ou soi-disant tels, dans cette petite ville où en juillet, il ne s’était rien passé. 7 Parmi ces neuf, un boulanger d’une trentaine d’années, don’t le crime était, m’a-t-on dit, d’avoir appartenu à la milice des “somaten” [national militia]; son vieux père, don’t il était le seul enfant et le seul soutien, devint fou. 8 Une autre encore: en Aragon, un petit groupe international de vingt-deux miliciens de tous pays prit, après un léger engagement, un jeune garçon de quinze ans, qui combattait comme phalangiste. 9 Aussitôt pris, tout tremblant d’avoir vu tuer des camarades à ses côtés, il dit qu’on l’avait enrôlé par force. 10 On le fouilla, on trouva sur lui un médaillon de la Vierge et une carte de phalangiste; on l’envoya à Durritti, chef de la colonne, qui, après avoir exposé pendant une heure les beautés de l’idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir immédiatement et s’enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l’avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. 11 Durrutti donna à l’enfant vingt-quatre heures de réflexion; au but de vingt-quatre heures, l’enfant dit non et fut fusillé. 12 Durrutti était pourtant à certains égards un homme admirable. 13 La mort de ce petit héros n’a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l’aie apprise qu’après coup. 14 Ceci encore: dans un village que rouges et blancs avaient pris, perdu, repris, reperdu, je ne sais combien de fois, les miliciens rouges, l’ayant repris définitivement, trouvèrent dans les caves une poignée d’êtres hagards, terrifiés et affamés, parmi lesquels trois ou quatre jeunes hommes. 15 Ils raisonnèrent ainsi: si ces jeunes hommes, au lieu d’aller avec nous la dernière fois que nous nous sommes retirés, sont restés et ont attendu les fascistes, c’est qu’ils sont fascistes. 16 Ils les fusillèrent donc immédiatement, puis donnèrent à manger aux autres et se crurent très humains. 17 Une dernière histoire, celle-ci de l’arrière: deux anarchistes me racontèrent comment, avec des camarades, ils avaient pris deux prêtres; on tua l’un sur place, en présence de l’autre, d’un coup de revolver, puis on dit à l’autre qu’il pouvait s’en aller. 18 Quand il fut à vingt pas, on l’abattit. 19 Celui qui me racontait l’histoire était très surpris de ne pas me voir rire. | 5 1 So many stories pressing to be told… But it would take too long, and what would be the point? A single one will suffice. 2 I was at Sitges when the militiamen of the expedition to Majorca returned, defeated. 3 They had been decimated. 4 Out of forty young boys who had started out from Sitges, nine were dead. 5 We learned it only when the thirty-one others returned. 6 The very next night, nine punitive expeditions were made; they killed nine Fascists – so-called – in this little town where, in July, nothing had taken place. 7 Among these nine was a baker about thirty years old, whose crime, I was told, was having belonged to the local militia; his aged father, whose only child and only support he was, went mad. 8 Yet another: in Aragon, a little international group of 22 militiamen of every country, after a light engagement, captured a young boy of fifteen, who was fighting as a Phalangist. 9 As soon as he was captured, all atremble from having seen comrades killed around him, he said that he had been enrolled by force. 10 He was searched, a medal of the Virgin and a Phalangist’s card was found on him; he was sent to Durritti, the chief of the column, who, after expounding for an hour on the beauties of the ideal anarchist, gave him the choice between dying at once and enrolling at once in the ranks of those who had made him a prisoner, against his comrades of the night before. 11 Duritti gave the child twenty-four hours to reflect; when these twenty-four hours were up, the child said no and was shot. 12 Durritti was nevertheless in certain regards an admirable man. 13 The death of this little hero has never ceased weighing on my conscience, although I learned about it only after the fact. 14 This too: in a village that reds and whites and taken, lost, retaken, relost I don’t know how many times, the red militiamen, having retaken it definitively, found in the caves a handful of haggard souls, among whom were three or four young men. 15 They reasoned thus: if these young men, instead of going with us the last time we retreated, stayed and awaited the fascists, it was because they were fascists. 16 So they shot them at once, then fed the others and considered themselves very humane. 17 A final story, this one from behind the lines: two anarchists told me how, with some comrades, they had captured two priests; they killed one on the spot, in the other’s presence, with, with a gunshot, then they told the other he could leave. 18 When he was a twenty paces, they shot him down. 19 The one who was telling me the story was very surprised when he didn’t see me laugh. |
6 1 A Barcelone, on tuait en moyenne, sous forme d’expéditions punitives, une cinquantaine d’hommes par nuit. 2 C’était proportionnellement beaucoup moins qu’à Majorque, puisque Barcelone est une ville de près d’un million d’habitants; d’ailleurs il s’y était déroulé pendant trois jours une bataille de rues meurtrière. 3 Mais les chiffres ne sont peut-être pas l’essentiel en pareille matière. 4 L’essentiel, c’est l’attitude à l’égard du meurtre. 5 Je n’ai jamais vu, ni parmi les Espagnols, ni même parmi les Français venus soit pour se battre, soit pour se promener — ces derniers le plus souvent des intellectuels ternes et inoffensifs — je n’ai jamais vu personne exprimer même dans l’intimité de la répulsion, du dégoüt ou seulement de la désapprobation à l’égard du sang inutilement versé. 6 Vous parlez de la peur. 7 Oui, la peur a eu une part dans ces tueries; mais là où j’étais, je ne lui ai pas vu la part que vous lui attribuez. 8 Des hommes apparemment courageux — il en est au moins un dont j’ai de mes yeux constaté le courage — au milieu d’un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de “fascistes” — terme très large. 9 J’ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d’êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer. 10 Quand on sait qu’il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. 11 Si par hasard on éprouve d’abord un peu de dégoût, on le tait et bientôt on l’étouffe, de peur de paraître manquer de virilité. 12 Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d’âme qu’il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l’ai rencontrée nulle part. 13 J’ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n’auraient pas eu l’idée eux-mêmes de tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. 14 Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l’avenir aucun estime. | 6 1 In Barcelona they killed on average, on these punitive expeditions, about fifty people a night. 2 It was proportionally much less than at Majorca, since Barcelona is a city of more than a million inhabitants; what’s more, a deadly street battle took place there that lasted three days. 3 But the numbers are perhaps not the essential thing in such a matter. 4 The essential thing is the attitude about murder. 5 I never saw, either amongst the Spanish, or amongst the French, whether they had come to fight or just to look around – the latter kind most often colorless and inoffensive intellectuals – I never saw anyone express, even in private, repulsion, disgust, or even disapproval with regard to the blood shed pointlessly. 6 You speak of fear. 7 Yes, fear had a share in these slaughters, but where I was, I didn’t see the share that you attribute to it. 8 Seemingly courageous men—there is at least one whose courage I witnessed with my own eyes—would, in the middle of a meal full of camaraderie, relate, with a nice brotherly smile, how many they had killed in the way of priests or “fascists” (a very broad term). 9 I acquired the feeling that, whenever the temporal and spiritual authorities have placed a category of human beings outside of those whose life has a value, there is nothing more natural to a man than to kill. 10 When one knows it is possible to kill without risking either punishment or blame, one kills; or at least one surrounds those who kill with encouraging smiles. 11 If perchance one feels a little disgust, one keeps quiet about it, and before long one extinguishes it, for fear of seeming to lack manliness. 12 One is swept up57 ; it is an intoxication impossible to resist without a strength of soul I am obliged to consider exceptional, since I have never encountered it anywhere. 13 In contrast, I have encountered peaceable French persons, whom I did not despise up to this point, who would not have had themselves the idea of killing, but who bathed in this atmosphere soaking in blood with visible pleasure. 14 For the latter I can never have any esteem in the future. |
7 1 Une telle atmosphère efface aussitôt le but même de la lutte. 2 Car on ne peut formuler le but qu’en le ramenant au bien public, au bien des hommes — et les hommes sont de nulle valeur. 3 Dans un pays où les pauvres sont, en très grande majorité, des paysans, le mieux-être des paysans doit être un but essentiel pour tout groupement d’extrême-gauche; et cette guerre fut peut-être avant tout, au début, une guerre pour et contre le partage des terres. 4 Eh bien, ces misérables et magnifiques paysans d’Aragon, restés si fiers sous les humiliations, n’étaient même pas pour les miliciens un objet de curiosité. 5 Sans insolences, sans injures, sans brutalité — du moins je n’ai rien vu de tel, et je sais que vol et viol, dans les colonnes anarchistes, étaient passibles de la peine de mort — un abîme séparait les hommes armés de la population désarmée, un abîme tout à fait semblable à celui qui sépare les pauvres et les riches. 6 Cela se sentait à l’attitude toujours un peu humble, soumise, craintives des uns, à l’aisance, la désinvolture, la condescendence des autres. | 7 Such an atmosphere immediately wipes out the very goal of the struggle. 2 For one can formulate the goal only by relating it to the public good, to the good of human beings—and human beings are of no worth. 3 In a country in which the poor are, in a very great majority, peasants, the improved condition of the peasants must be an essential goal of any association of the extreme left; and this war was perhaps, above all, a war for and against the apportionment of lands. 4 Well now, these wretched and magnificent peasants of Aragon, who had remained so proud beneath their humiliations, were for the militiamen not even an object of curiosity. 5 Without acts of insolence, without insults, without brutality—at least I saw nothing like that, and I know that theft and rape, in the anarchist columns, were subject to the death penalty—an abyss separated the armed men from the unarmed population, an abyss completely similar to the one that separates the poor and the rich. 6 That could be sensed in the attitude of the one group, a bit humble, submissive, fearful, (and) in the ease, the nonchalance, the condescension of the other. |
81 On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l’ennemi en moins. | 8 You go off as a volunteer, with ideas of sacrifice, and you end up in a war of mercenaries, with many additional cruelties and even less idea of the regards due to the enemy. |
9 1 Je pourrais prolonger indéfiniment de telles réflexions, mais il faut se limiter. 2 Depuis que j’ai été en Espagne, que j’entends, que je lis toutes sortes de considérations sur l’Espagne, je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l’atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté. 3 Vous êtes royaliste, disciple de Drumont — que m’importe? 4 Vous m’êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d’Aragon — ces camarades que, pourtant, j’aimais. | 9 1 I could continue such reflections indefinitely, but one has to limit oneself. 2 Ever since I was in Spain, and since I have been hearing and reading all kinds of considerations about Spain, I can mention no one, other than you alone, who, to my knowledge, has bathed in the atmosphere of the Spanish war and has resisted it. 3 You are a royalist, a disciple of Drumont – what do I care? 4 You are nearer to me, incomparably, than my fellow militiamen of Aragon – those comrades I nonetheless loved. |
10 1 Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m’est également allé au cœur. 2 J’avais dix ans lors du traité de Versailles. 3 Jusque-là j’avais été patriote avec toute l’exaltation des enfants en période de guerre. 4 La volonté d’humilier l’ennemi vaincu, qui déborda partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d’une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes de ce patriotisme naïf. 5 Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu’il peut subir. | 10 1 What you say of nationalism, of (the) war, of French foreign policy after the war also went straight to my heart. 2 I was ten years old at the time of the Treaty of Versailles. 3 Up until then I had been a patriot with all the exaltation of children in time of war. 4 The desire to humiliate the conquered enemy that spilled out so repugnantly everywhere at that moment (and in the years that followed) cured me once and for all of this naive patriotism. 5 The humiliations inflicted by my country are more painful to me that those it may suffer. |
11 1 P.-S. C’est machinalement que je vous ai mis mon adresse. 2 Car, d’abord, je pense que vous devez avoir mieux à faire que de répondre aux lettres. 3 Et puis je vais passer un ou deux mois en Italie, où une lettre de vous ne me suivrait peut-être pas sans être arrêtée au passage.
Mlle Simone Weil | 11 1. P.S. I included my address without thinking. 2 For, first of all, I think you must have better things to do than answer letters. 3 And then, I am going to spend one or two months in Italy, where a letter from you would not perhaps follow me without being stopped on the way. |
- “However ridiculous it may be” – though ridicule is actually here a noun, and more literally = “Whatever ridiculousness there may exist.” On concessive constructions of this kind, see here.[↩]
- m’empêcher – Learn 1) empêcher qqn de (infinitif) = “to prevent someone from doing something. 2) s’empêcher de = “to prevent oneself from (doing something). You will usually find it used thusly: Je ne peux (puis) m’empêcher de (faire qqc), which should be translated: “I can’t help (doing something).”[↩]
- si j’ai pu aimer – One of pouvoir’s possible meanings is to indicate, precisely, possibility, where in English we might use the modal “may.” Hence, you can translate: “If I may have loved others of your books.” (Since the Si/if clause here is strictly speaking concessive, you could also begin: “Although…” See this language topic.) [↩]
- importuner – a very good verb, though I have not boldfaced it. The adjective importun(e) is the opposite of the adjective opportun(e). Think of Paul’s opportune, importune (2 Tim 4:2), which we translate as “in season, out of season.” In English we have the verb “to importune” and the adjective “importunate.”[↩]
- de la part de – The most general meaning of this phrase is “On the authority of, At the behest of, At the recommendation of.” Translate it here as: “coming from.”[↩]
- affichait – afficher means to post something on a wall, as one does with une affiche = “a poster.” afficher also has this nice usage: “to be obvious about what you think, not to hide your opinions.” Je ne peux pas sentir Robert; il affiche toujours son catholicisme. = “I can’t stand Robert; he’s always flaunting (making a show of) his Catholicism.”[↩]
- interdite – interdire = “to forbid.” Nous interdisons à nos enfants de regarder certains films. = “We forbid our children to watch certain films.” Entrée interdite = “No entrance.” Interdit aux moins de 17 ans = “NC-17.” Consider also the medieval ecclesiastical sanction called “interdiction.”[↩]
- quiconque – Know![↩]
- jouit d’ – jouir de – Know![↩]
- se réclamait de = “to claim as one’s justifying authority or source–to say that you come from, that you are in the same line as, that you are the spiritual heirs of.” Non-pronominal réclamer = “to ask for with insistance, as something necessary to one’s well-being or as one’s due.”[↩]
- pris conscience – prendre conscience de = “to become aware of.” la consience means not only 2) (moral) conscience, but 1) consciousness.[↩]
- ressentir – This verb, derived from sentir, means especially “to feel strongly an interior state, physical or emotional.” Translate here simply as “to feel.”[↩]
- tares – une tare = an inherited fault or vice. From Arabic through Italian.[↩]
- la F.N.I. – Front? Fédération? ??national? des…???????[↩]
- se coudoyaient – coudoyer is “to rub elbows with” someone; from le coude, elbow.[↩]
- la revendication de – “the demand for.” revendiquer is not unlike non-pronominal réclamer.[↩]
- l’emportaient sur – You should know l’emporter sur = “to win out over.” Here, the expression refers to the greater numbers of the better sort of volunteer.[↩]
- à l’arrière – In a war, l’arrière is the opposite of le front.[↩]
- m’engager – s’engager, in this context, means “to enlist.”[↩]
- abréger = “to abridge, shorten.” Cf. the adjective bref, f. briève; the adverb bref.[↩]
- en pleine campagne aragonaise = “in the middle of the Aragonese campaign.” Cf. “en pleine nuit,” “en plein été,” etc., always = “in the middle of”[↩]
- par la suite – you can translate: “subsequently.”[↩]
- que je n’en ai rien fait = “that I did nothing about it,” i.e., that I didn’t return.[↩]
- affamés = “hungry, famished.”[↩]
- que dégage votre livre = “that your book brings out.”[↩]
- atteigne – 3rd person sing present subjunctive of atteindre; in a “relative clause of characteristic” (the antecedent is “rien”).[↩]
- = balilla? ≈ Member of a fascist youth group.[↩]
- (une) matraque = “billy-club.”[↩]
- j’ai failli = “I almost (witnessed…).”[↩]
- Sur – here = “out of.”[↩]
- sut – passé simple of savoir, with the meaning: “We learned it only…”[↩]
- soi-disant – more correct would be to say “prétendu.” The meaning is “claimed to be (such).”[↩]
- après-coup = “after the fact”[↩]
- c’est qu’ – note this special use of “c’est que” = “it is because.”[↩]
- en moyenne = “on average”[↩]
- il s’y était déroulé – the “il” is a fake subject; the real one is “une bataille.” “For that matter, a murderous street battle took place there over three days.”[↩]
- terne = “colorless.”[↩]
- même dans l’intimité – parenthetical. = “, even in private,”. The direct object of “exprimer” is “de la répulsion, etc.”[↩]
- part – remember that “la part” is not the same as “la partie.” “La part” = “portion, share.”[↩]
- de mes yeux = “with my own eyes”[↩]
- en dehors de – learn this prepositional phrase.[↩]
- il n’est rien = “il n’y a rien”[↩]
- on le tait – notice how the verb “taire” works when it is non-pronominal. = “one keeps quiet about it, one doesn’t express it.”[↩]
- à laquelle…résister – “résister” is intransitive. “résister à” = “to resist.”[↩]
- qu’il me faut bien croire exceptionnelle = “that I am obliged to consider exceptional”[↩]
- en revanche = “in contrast, on the other hand.” Learn this expression.[↩]
- Car…qu’en – a “ne…que” construction. “For one can formulate the goal only by…”[↩]
- le mieux-être – based on “le bien-être” = “the well-being.”[↩]
- passibles = “punishable”[↩]
- Cela se sentait à = “That could be sensed in”[↩]
- On part en volontaire = “You go off as a volunteer”[↩]
- I.e., it was like a war of mercenaries, only worse.[↩]
- Edouard Drumont, author of the deplorable la France juive (1886).[↩]
- lors (de) = “at the time of”[↩]
- déborda – you could say “that spilled out everywhere at that moment”[↩]
- une fois pour toutes = “once and for all”[↩]
- Literally: “There is a dragging along here”[↩]
NJ says
Thank you for this.
There are some mistakes: in 3.4, ‘italy’ needs capitalising; you have, erroneously, ’22 He was searched’;
Mad Beppo says
Thanks for going over the English translation with such care. I have corrected the typo at 3.4 (Italy). As for my translation of “On le fouilla” as “He was searched” (at sentence 10 [rather than 22] of paragraph 4), –hmm, perhaps that misnumbering is the error you are speaking of, rather than my rendering of the French. Once again, thanks.